Lecture analytique : L’Île des esclaves, Marivaux (1725), l'exposition

Texte 14La scène d’exposition


La scène d’exposition a un rôle essentiel pour la compréhension de l’histoire. Elle présente les personnages principaux et elle doit susciter l’intérêt du spectateur. Boileau, au siècle précédent, préconisait dans son Art poétique, que l’intrigue soit vite présentée. C’est à cela que s’applique Marivaux. Il nous présente une situation traditionnelle mettant en scène un couple maitre-valet. Très vite les rôles ne semblent pas si simples. En quoi l’exposition apparemment traditionnelle de l’île des esclaves plus quelle ne présente l’action annonce-t-elle déjà son retournement ?
I-                    Les caractéristiques de l’exposition
a)      Les personnages
-          « tristement » : caractère
-          « mon patron » : relation
-          « monsieur Iphicrate » : identité
-          « aux esclaves comme moi » : identité
Les personnages s’introduisent pour le public : double-énonciation
b)      Le lieu
-          « le théâtre … maisons » : caractéristiques typiques de l’île, un Ailleurs totalement imaginaire, isolé. Coutumes différentes
-          « mer » « «ile des esclaves » « ile »x4
-          « car nous sommes dans l’île des esclaves » + majuscules + introduction + effet de retardement et d’attente + titre de la pièce
-          Ile fermée qui contraste avec la grande capitale qu’est Athènes
c)       L’intrigue
-          Evocation du naufrage : élement perturbateur
-          Champ lexical de la mer qui renvoie au naufrage « mer » « naufrage » « noyé » « chaloupe » « vaisseau » « rocher » « vague »
-          Scène typique de l’utopie : les personnages sont arrivés là par hasard. Utopie inventée par Thomas More au 16ème siècle
-          Gradation « maigres, éthiques puis mort de faim » : avenir des naufragés
-          « je ne reverrais jamais Athènes », futur : tension, nœud de l’intrigue. But = retourner à Athènes
Comme à son habitude, Iphicrate veut utiliser son esclave pour se sortir de ce mauvais pas. Mais très vite, on comprend qu’Arlequin ne se laissera pas faire
II-                  Une relation maitre-valet ordinaire ?
a)      Maitre et serviteur : le dominant et le dominé
Iphicrate est issu de l’aristocratie, il domine Arlequin :
-          « Arlequin » x4 « hé » « le coquin » périphrase
-          « après avoir soupiré » : énervement
-          Impératif très fréquent : catégorique
-          Interrogatives : position de force d’Iphicrate, signe de pouvoir
Cependant, ces interrogatives traduisent aussi une position de faiblesse. Dès l’exposition, on assiste à une inversion
b)      Le thème du double inversé

Maitre
Esclave
Champ lexical
« patron » « maitre » « liberté »
« esclave » « esclavage »
Antithèse
« révoltés contre leurs maitres »
« ce son des esclaves de la Grèce »
Onomastique
Iphicrate : pouvoir + Grèce
Arlequin : comedia del arte , comique, bouffon
Caractère
Austérité, pessimisme
Joie, chante, siffle, bon vivant, alcool
Questions/réponses
« que deviendrons-nous »
« nous les cherchions »
« nous deviendrons » : docile
« cherchons »

Le couple maitre-valet semble ici reprendre la tradition. Ils ont des roles bien définis et sont complémentaires.
C’est un valet facétieux :
-          Arlequin répond aux ordres pour les contredire. Effet comique
Mais ce topos vas ici dépasser les limites. Les règles de l’île vont rendre les fonctions particulièrement floues.
III-                Les prémices d’un retournement symbolique
a)      Les règles de l’île
-          « tuer tous les maitres « les jeter en esclavage » : tournure binaire, violence des règles
-          « ils ne font rien aux esclaves comme moi » : antithèse
-          Homonyme « vit « vie »
-          Arlequin n’est pas inquiet : joyeux et en confiance
-          « chaque pays a sa coutume » : présent de vérité générale
-          Le maitre s’en mord les doigts dans son aparté
Arlequin le valet facétieux s’engouffre donc ainsi dans les règles de l’île et s’y adapte dès la 1ère scène
b)      L’impertinence d’Arlequin
-          Siffle, chante, rit : il se moque de son maitre
-          « j’ai les jambes si engourdies » : fausse excuse, mensonge, ironie
-          « je vous plains de tout mon cœur » : registre élégiaque, antiphrase
-          « je ne vous plains pas ma foi …. Rire » : antithèse
-          La détresse du maitre : incomprehension d’Iphicrate face à Arlequin « que veux tu dire ? » « as-tu perdu l’esprit » « à quoi penses-tu » : la crainte monte
-          « comment donc » surprise face aux réactions d’Arlequin
-          Le maitre devient poli, inversion des roles amorcée « avançons je t’en prie » « mon cher Arlequin »
Le rapport de pouvoir entre maitre et esclave s’équilibre voire s’inverse dans cette ile aux valeurs d’égalité
c)       L’utopie comme stratégie argumentative
  • Arlequin possède des qualités, personnage sympathique qui permet l’identification du lecteur :
-          Arlequin, le personnage comique : alcool, le gentil ivrogne : comique de caractère + image traditionnelle du personnage d’Arlequin dans la comedia del arte
-          Arlequin est optimiste « eh encore vit-on », « voila » presentatif. Calme philosophe.
-          Arlequin est intelligent, lucide « nous avons la meme commodité »
  • Arlequin dénonce les attitudes de son maitre, il lui fait des reproches :
-          « comme vous êtes civil et poli » : Iphicrate est d’ordinaire irrespectueux
Conclusion :
En transposant son histoire sur une île utopique dans un temps relevant de l’antiquité mythique, Marivaux peint les défauts de la société de son temps en lui présentant dès l’exposition un miroir inversé. Du décalage inattendu entre la relation maitre-valet traditionnelle et celles qu’entretiennent Iphicrate et Arlequin va naitre une reflexion critique personnelle chez chaque spectateur. Le mécanisme argumentatif est le meme que l’apologue.